Echos Du Net , le 03/02/2007

Entretien avec Florent Peyraud : quel avenir pour Linux face à Vista ?

Le 30 janvier dernier, Microsoft France fêtait la sortie officielle de la version grand public de Windows Vista, le nouveau système d'exploitation de la firme de Redmond, à la Grande Arche de la Défense. Nous y avons rencontré Florent Peyraud, membre de l'association niçoise Linux Azur, qui a accepté de répondre à nos interrogations quant à l'avenir de Linux face à Vista.


Les systèmes d'exploitation de Microsoft sont installés sur plus de 95% des ordinateurs personnels à travers le monde, un quasi monopole qui laisse peu de place pour des solutions alternatives telles que le système open source Linux, qui remporte à l'heure actuelle moins de 1% des suffrages, les quelques % restants étant détenus par le groupe Apple et ses Mac.
Pourtant Linux est de plus en plus utilisé dans les entreprises, à l’image du groupe PSA (Peugeot/Citroën) qui vient de signer un accord avec Novell pour le déploiement de la distribution SUSE Linux sur 20.000 postes de travail et 2.500 serveurs.

Alors pourquoi les solutions Linux, qui semblent très populaires au niveau professionnel, comptabilisent-elles si peu « d’adhérents » chez les particuliers ? Florent Peyraud, membre de l'association Linux Azur, a bien voulu répondre à nos questions concernant l’avenir de Linux face à Vista.

EchosDuNet : Florent, vous avez assisté, comme nous, au spectacle donné par Microsoft France pour fêter le lancement officiel de la version grand public de Windows Vista. Qu’avez-vous pensé de cette soirée et quel est votre avis sur Windows Vista ?

Florent Peyraud : Le spectacle était joli. La soirée, un coup marketing, rien de plus. Le feu d'artifice a attiré un monde fou, le message commercial est-il passé ? Je ne saurais le dire. Ni la marque ni le nom du produit n'étaient affichés en gros du côté des visiteurs anonymes.
Pour ce qui est des VIP, ceux qui étaient sous la tente montée pour l'occasion, j'imagine que c'était différent ! Je pense que l'événement était quand même surtout destiné au grand public et non aux industriels car parmi ces derniers, ceux qui ont choisi (ou qu'on a aidé à choisir) Microsoft Windows ont déjà planifié leur migration vers Vista, pour une simple question de continuité de support technique. Maintenant, il est possible que Microsoft sente le vent tourner avec les dernières versions de Linux et que la firme veuille sécuriser sa clientèle.


EDN : La Défense était également le lieu où se déroulait le salon Solutions Linux. Vous y représentiez votre association, Linux Azur, qui a pour objectif de promouvoir Linux, en particulier la distribution Kaella, et les Logiciels Libres sur la région Côte d'Azur. Un commentaire sur ce salon ? Quelle catégorie de visiteurs y avez-vous accueilli : uniquement des « Linuxiens » ou des personnes venues découvrir le monde du Libre ?

F.P. : Le salon a lui aussi attiré beaucoup de monde, de tous les horizons, des informaticiens comme des néophytes curieux. L'entrée du salon était libre pour la visite des stands. Et sur le stand de l'association, nous avons pu discuter avec des personnes très différentes. Certains sont venus nous complimenter ou nous donner leur retour d'expérience sur la Kaella, d'autres étaient surtout attirés par les T-shirts de l'association. D'autres encore venaient à notre rencontre par hasard, sans rien connaître à Linux ni aux logiciels libres. Nous prenions alors le temps d'expliquer les notions de liberté dans les logiciels, les avantages à les utiliser, et nous proposions une démonstration de Linux grâe à la Kaella.
Les autres stands proposaient d'autres activités tout aussi intéressantes sur des sujets différents. Le salon était aussi un moyen pour nous de tous nous rencontrer, de mettre un visage et une voix sur un nom ou un pseudo échangé par courriel sur les listes de diffusion. Le contact humain est irremplaçable et permet de faire de grandes choses.


EDN : Les utilisateurs, lorsqu’on leur parle de Linux, ont souvent le réflexe de penser que le système nécessite des connaissances poussées en informatique. Or Linux est devenu très convivial depuis quelques années. Comment faire pour le rendre plus abordable aux béotiens ? Quels arguments pour convaincre les utilisateurs de basculer sur Linux plutôt que Vista ? Le fait que Linux ne permette pas toujours d’utiliser le matériel ou l’application qu’on souhaiterait n’est-il pas une entrave au développement du système ?

F.P. : Linux a beaucoup souffert de son manque d'ergonomie dans les premières distributions qu'on pouvait trouver. Son déploiement grand public a par conséquent pris pas mal de retard. En face, Microsoft a peaufiné à grands frais cette ergonomie qui faisait défaut à Linux et a donc profité de la brèche pour s'y engouffrer.
Aujourd'hui, Linux a rattrapé une bonne partie de son retard sur ce point qu'on pourrait qualifier de purement esthétique. Malheureusement, la très grande majorité des machines vendues aujourd'hui le sont avec une licence de Microsoft Windows. Outre le fait que cette pratique s'appelle de la vente liée et est strictement interdite, elle ne permet pas à l'utilisateur client d'être convenablement informé sur l'offre alternative que représentent Linux et les logiciels libres. C'est cette désinformation honteuse qu'il faut commencer par combattre, et c'est un des buts de l'association dont je fais partie. Les argument ne manquent pas pour peser en faveur de Linux : économique en ressource, rapide, extrêmement immune aux virus, une offre logicielle comparable en tous points avec celle de l'environnement Windows, la liberté en plus...
Quant au prix, je crois qu'il n'y a pas photo. Les mentalités commencent à changer, ça se sent.
Pour ce qui est du matériel, il est assez rare de se retrouver dans l'impossibilité de l'utiliser. Parfois le support est partiel, mais souvent, il n'y a aucun problème. Les cartes vidéos sont encore très noyautées par les technologies Microsoft à cause des jeux qui utilisent la technologie DirectX . Le support de Linux est assez instable, mais c'est compréhensible : les parts de marché sont telles que Microsoft peut facilement poser des conditions aux fabriquants. Néanmoins, ils commencent à proposer des pilotes optimisés pour Linux, mais toujours sous forme binaire qui supporte mal les mises à jour du noyau. Un projet de carte vidéo complètement ouverte existe, mais on est encore loin de voir un vrai produit sortir tant qu'un industriel n'y contribuera pas.


EDN : Le partenariat de certaines universités avec Microsoft par le biais du programme MSDN, qui permet aux étudiants de bénéficier gratuitement des logiciels Microsoft durant leurs études, n’est-il pas un frein à la pénétration de Linux dans les mentalités ?

F. P. : C'est un point de plus qui me fait penser que la firme est très puissante. On peut bien parler de lobbyisme dans le cas des universités.
Dernièrement, dans l'IUT d'informatique de Nice, j'ai pu constater que tout était fait pour que les étudiants se forment et n'utilisent que les solutions propriétaires, principalement celles de Microsoft, et n'aient qu'une vision très négative de Linux, qu'ils n'utilisaient qu'à titre anecdotique au travers d'un terminal en ligne de commande. C'est un peu malhonnête à mon avis et c'est surtout l'inverse de ce qu'il faut faire pour développer l'ouverture d'esprit des étudiants.
En plus, l'offre "philanthropique" de Microsoft a ses limites, que les étudiants, grisés par l'opulence de l'offre, ne voient même pas : toutes les licences sont limitées dans le temps à la durée des études. Après, soit l'étudiant achète une licence en son nom, soit il a eu la chance de découvrir les solutions alternatives, et au pire, il passe dans la catégorie des pirates en continuant à utiliser une licence qui n'est plus valide. Nous ne voulons pas dénigrer les produits Microsoft. Chacun doit avoir le choix de préférer telle ou telle solution en fonction de son besoin et ses goûts, ses moyens. Nous voulons simplement informer sur les solutions alternatives et développer l'esprit critique face à l'offre logicielle.


EDN : Autre source d’appréhension, peut-être, pour les novices, la multiplicité des distributions Linux : Ubuntu, OpenSuse , Kaella, Fedora, Mandriva, … Le choix est vaste, mais ne l’est-il pas trop ? Une structuration poussée de la communauté Linux n’est-elle pas nécessaire pour développer des axes de développement grand public ?

F. P. : C'est vrai, le choix est vaste, et cette diversité est à double tranchant : d'un côté c'est une force car cela permet de choisir une distribution en fonction de ses spécificités. D'un autre côté, elle disperse un peu les efforts, c'est indéniable.
A notre niveau, en tant que groupe d'utilisateurs, nous avons la chance d'avoir des membres très expérimentés qui peuvent tester un grand nombre de distributions et ainsi guider les nouveaux utilisateurs vers celle qui leur conviendra le mieux. Une fois installée, l'utilisateur peut lui même se faire son avis, dire ce qu'il aime et ce qu'il aurait préféré. Rien n'empêche alors de changer, essayer une autre distribution quand il aura pris un peu d'assurance dans le nouvel environnement. Ces changement sont maintenant très simples et s'effectuent en quelques clics.
La grande force de cette diversité, c'est aussi la compatibilité des logiciels, et donc les documents créés plus tôt peuvent encore être utilisés après le changement. Maintenant, il faut bien voir que seules quelques distributions sortent du lot et peuvent se targuer d'être vraiment grand public. Le choix est alors simplifié.


EDN : Pensez-vous que la diversité des distributions soit également un frein pour les sociétés d'éditions de logiciel ?

F.P. : Pour les éditeurs de logiciels propriétaires, c'est possible. La réactivité de la communauté est telle que le noyau Linux change souvent, se corrige, s'améliore... Les éditeurs de logiciels ne sont pas habitués à une telle réactivité et souvent ne peuvent pas suivre convenablement cette évolution. Je ne saurais que trop leur conseiller de libérer leurs logiciels et ainsi permettre à la communauté de contribuer à leur évolution, mais je peux aisément comprendre que leur modèle commercial est trop distant de celui qui permet de faire vivre des gens grâe aux logiciels libres.
La solution généralement adoptée est de n'assurer le support de ces logiciels propriétaires que sur certaines distributions. Classiquement, les grandes distributions choisies sont RedHat et Suse. Les sociétés qui les fournissent assurent un support à long terme sur ces distributions. Canonical propose aussi un tel support sur la Ubuntu 6.06, mais pour le moment, je n'ai pas entendu parler de grande entreprise ayant choisi cette distribution à grande échelle. La communauté propose aussi une solution, en tout point similaire aux distributions de RedHat , nommée CentOS , qui permet d'installer des solutions propriétaires sans souscrire à l'offre de RedHat .


EDN : En conclusion, comment voyez-vous l’avenir de Linux, à court, moyen et long terme ?

F.P. : A court terme, je pense qu'il est urgent de continuer toutes les campagnes d'information du public sur les solutions alternatives. C'est primordial pour que la tendance actuelle se confirme et que plus aucun utilisateur ne puisse ignorer qu'il a le choix et que la décision lui appartient.
A moyen terme, je pense que Microsoft va perdre encore des parts de marché au profit des solutions libres et que les fabriquants seront obligés de suivre la tendance et de contribuer au développement de pilotes adaptés pour utiliser leurs matériels.
A long terme, je ne saurais dire ce qui va se passer, mais j'espère que la diversité sera conservée, que la communauté saura conduire les différents projets libres dans la bonne direction pour qu'ils perdurent. Rien n'est encore joué, gagné ou perdu, mais la route est encore longue.



Association de type loi 1901, Linux-Azur a pour objectif la promotion de Linux et des Logiciels Libres sur la région Côte d'Azur. Elle remplit ses missions bénévolement au travers de soirées accès libre (install-parties) avec entrée libre et gratuite, d'ateliers réservés aux membres de l'association et accueille gratuitement les visiteurs lors de conférences sur le Logiciel Libre.

La Kaella est une distribution Live entièrement francisée et adaptée à l'utilisation en France. Elle est basée sur la distribution Knoppix et permet d'essayer Linux sans devoir l'installer sur le disque dur. Elle est aussi très pratique en cas de panne du système d'exploitation installé.

Reproduction de l'article original autorisé par son auteur